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Café des supplices

Par Ines Ayed

Qu’est ce qui lui a fait choisir ce café? A part l’inscription Wifi sur la porte, le hasard le plus total. Si Nejib avait été un peu plus concentré, il n’aurait jamais opté pour celui-là. Mais là il manquait de temps et de volonté pour aller plus loin. C’était un de ces cafés sombres et sans fenêtres, qui donnaient cette impression de suffocation dès qu’on y entrait.

Il s’empressa de s’asseoir et de déployer son lap top et son calepin. Il tira de sa poche son Smartphone. Puis du fin fond de sa besace il sortit son crayon. Il rangea ses affaires sur la table et tourna la tête vers la serveuse qui s’avançait vers lui avec une nonchalance décourageante.

Elle se tint devant lui ennuyée sans lui dire bonjour. Il lui sortit son plus beau sourire d’homme poli à toute épreuve. Elle parut gênée par son sourire et ne proposa rien.

  • Vous avez de l’eau minérale aromatisée, s’il vous plait ?
  • Non
  • Vous avez du jus d’orange frais ?
  • Non
  • Ah ! Qu’est ce que vous avez alors ?
  • Des Sodas, des cafés Lavaza, de l’eau minérale….
  • Plate ou gazeuse ?
  • Pardon ?
  • Gazéifiée ou normale, l’eau minérale ?
  • Non normale.
  • Une bouteille d’eau normale, alors !
  • Et ?
  • Et rien. Ah oui ! est ce qu’il y aurait une zone non fumeurs ?
  • Une zone quoi ??
  • Euh non, je ne supporte pas la fumée.

Elle le regarda avec presque du dégoût : quel genre de mecs était celui qui ne supportait pas la fumée, qui n’avait pas les doigts et les dents jaunies par une bonne vieille clope, qui n’avait pas une haleine de chien et une toux caverneuse ?

-Non nous n’avons pas une telle chose.

-Tant pis, sinon le mode de passe pour le wifi.

– c’est le nom du café sans espace et tout en minuscules.

Il prit son mal en patience, son étonnement était sans limites. Comment peut-on exercer un tel métier quand on est aussi mal élevée ?

Il se rendit compte que toute la conversation s’est faite à haute voix car l’écran accroché au dessus de lui chantait a tue-tête. Cet écran, d’une platitude effarante, semblait pourtant solliciter l’attention de l’assistance composée d’une tablée de quatre jeunes hébétés et affalés sur leurs chaises, un quinquagénaire ventru barbotant sans relâche une chicha et un couple silencieux et triste.

Il essaya de s’éclaircir les idées de se concentrer pour finir la conclusion de son rapport et l’envoyer. Il tapa le mot de passe et attendit : rien. Il réessaya : encore rien.

Il essaya de s’assurer de l’orthographe, lettre par lettre : toujours rien.

Il appela la serveuse pour lui dire, elle l’ignora un moment puis opina de la tête pour lui dire qu’elle vient. Il la vit s’attarder près de la table des jeunes à plaisanter et à distribuer des sourires. Nejib était vexé de n’avoir droit, lui, qu’à la mauvaise humeur.

La serveuse revint enfin avec une bouteille poussiéreuse, la posa sur la table, et à côté, un verre à la propreté douteuse.

  • Attendez Mademoiselle, Internet ne marche pas.
  • Si, ça marche.
  • Je vous assure que non.

La serveuse grimaçait et semblait dire : et alors ? Qu’est ce que tu veux que j’y fasse ?

  • vous pouvez redémarrer le modem ?
  • je vais voir.

Elle s’éloigna et disparut derrière une porte sur laquelle il y avait écrit Privé.

Quelques longues minutes passèrent et Nejib se sentait idiot devant son écran vide. Que pouvait-il faire, payer la bouteille d’eau tiède à peine entamée et partir, ou attendre ? La perspective de quitter cet antre à zombies était bien séduisante mais il était lessivé par la longue marche de tout à l’heure, en plus il manquait de temps, où pouvait-il aller pour envoyer ce rapport ?

Nejib était tout absorbé quand un grand bruit le fit sursauter et il sentit rompre son cœur. La serveuse avait en fait posé avec grand fracas un cendrier vide sur sa table.

Le jeune homme leva vers elle son plus mauvais regard, jeta deux pièces de monnaie sur la table, ramassa à la hâte ses affaires et prit la direction de la porte.

La serveuse étonnée de le voir partir en trombe le héla :

– Mais Monsieur, internet remarche ! 

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