Par Ines Ayed
-….Et alors le processus qu’ils utilisent montre très clairement ses failles….moi je voudrais leur dire……moi…….savoir……eux ……devoir….
Au bout d’un moment, elle n’entendait plus que des syllabes perdues. Elle souffrait pour garder ses yeux ouverts, ne pas pencher la tête et s’endormir.
Elle coupa le flot des paroles émis par son collègue et partit dans la salle d’eau. Elle s’aspergea le visage une, deux, trois fois. Elle avait sommeil, c’est fou ce qu’elle avait sommeil.
Elle revint dans le bureau.
- Tu vas bien ? tu as l’air fatigué. Tu t’es couchée tard hier ?
- Oui, super tard mais c’est bon. Je rentre.
- Le patron n’aimera pas, tu sais.
- Tant pis.
Comment lui avouer que là, elle était indifférente à tout et encore plus à ce qu’en pensera son patron. Elle voulait juste rentrer et dormir.
Dans la rue, la sensation d’abattement et de vide la prenaient à la gorge. Elle n’arrivait plus à respirer. Elle s’adossa au mur un moment pour reprendre son souffle et choisit de prendre un taxi, elle ne pourra jamais marcher.
Elle héla le premier qu’elle vit venir, monta et commanda sèchement son adresse.
Elle n’écouta pas le chauffeur lui parler de la circulation infernale, des automobilistes arrogants ni de cette chaleur suffocante….elle aurait aimé, elle, ne suffoquer que de chaleur.
Elle essaya de se rappeler la consigne de son médecin : chercher à se faire plaisir, un plaisir simple et superficiel. Mais qu’est ce qui lui ferait plaisir en ce moment ? Elle essaya de sonder ses envies au plus profond de son âme. S’acheter une paire de chaussures rouges peut-être ? Aller se goinfrer avec des gâteaux au chocolat ? Embrasser les lèvres bavardes mais sensuelles de son collègue pour le faire taire ?….non tout ce qu’elle voulait en ce moment c’était dormir et que cesse ce mal de tête. Mais qu’est ce qui l’a rendu si hermétiquement insensible aux simples plaisirs. Pourquoi n’irait elle pas chez le coiffeur se faire une coupe pour aller mieux comme font toutes les filles ? Pourquoi il a fallu qu’elle soit si compliquée ?
Elle se rappela avoir lu dernièrement un essai sur la sophrologie, le développement de soi, le positivisme… Elle avait pris très au sérieux le sujet, s’y était appliqué un certain temps, y avait vraiment cru et espéré y trouver la solution pour « ses crises » et ça avait vraiment marché pendant un temps. Elle s’était remise à revoir ses amis, à faire de nouvelles rencontres, à faire des projets pour l’avenir. Elle a oublié quand est ce qu’elle a replongé de nouveau dans la tristesse, mais la rechute d’humeur a failli lui être fatale, elle avait envisagé alors pour la première fois d’en finir, la solution serait d’une simplicité et d’un calme apaisants, ce serait juste s’endormir et oublier de se réveiller …un reste de volonté dérisoire l’en a dissuadé au dernier moment et elle a même cédé ses somnifères à une amie pour éviter le dérapage.
Dans son entourage, on s’était étonné, justement, de la voir prendre des somnifères alors qu’elle dormait suffisamment et même un peu plus que la moyenne. Seul son médecin savait qu’elle les prenait pour stopper les cauchemars. Elle y retrouvait les pires scenarii possibles : des chambres qui rétrécissent, des dédales de rues sombres et épouvantables, des escaliers enchevêtrées et qui ne mènent nulle part, les dents qui tombent, une incapacité à marcher, ses proches qui l’ignorent alors qu’elle est nue…et plus encore. Un sommeil agité et discontinu dont elle se réveillait encore plus éprouvée. Ces somnifères lui permettaient de dormir enfin profondément et sans rêver.
Son téléphone sonna et le nom Farah s’afficha :
- Bonjour Farah
- Oh si tu savais, il m’a quittée. C’est pour de bon cette fois. Je sais qu’il ne veut plus de moi. Oh peut-on être aussi misérable que moi. Viens chez moi s’il te plait, je vais mal, j’ai envie de mourir.
- Pourquoi tu ne prends pas les cachets que je t’ai donnés.
- Ah non ! je ne les veux pas tes cachets, ils me font un effet bizarre et me donnent la nausée.
- D’accord je viens te voir et on parlera de ton problème.
- Oh oui ma chère, j’ai tellement besoin de toi.
- Allo Farah, écoute !… Je reprendrais mes cachets aussi.