Catégories
Nouvelles

Le projet

par Ines Ayed

La fille pouffa encore ses cheveux qui retombèrent désespérément. Est-il si visible qu’elle avait la veste et le pantalon dépariés. Elle avait d’abord opté pour le tailleur noir et la chemise grise. Mais une tache de dentifrice était venu s’étaler sur le col de la veste, en l’essuyant avec un chiffon imbibée d’eau, elle ne réussit qu’à faire élargir l’auréole blanche. Quelle idée de se brosser les dents après s’être habillée ! Ses chaussures toutes noires étaient impeccablement cirées. Elle se trouvait présentable sans plus. Elle cacherait les derniers défauts de sa tenue derrière un large sourire. Elle ramassa son sac et son porte-document, et sortit. Elle aurait aimé marcher, ça aurait clarifié ses idées mais elle avait peur d’arriver défraîchie transpirante et avec des chaussures blanches de poussière, elle héla un taxi et y grimpa en annonçant sa destination. Dans la voiture elle essaya de mettre de l’ordre dans ses idées et de se rappeler les arguments les plus pertinents. Puis elle arriva devant l’entrée, paya et descendit. Elle entra au siège luxueux de la banque et s’avança vers l’agent chargé d’accueillir les visiteurs égarés.

Elle demanda à voir le Directeur des crédits avec qui elle avait rendez vous.

Elle montât les marches, suivit la mezzanine, longea le couloir frappa à la porte patienta devant, jusqu’à entendre « Entrez » et elle entra.

« Bonjour…oui je m excuse, je suis un peu en avance, alors voila je vous amène le business plan comme prévu et voila ce sont les photos du domaine.

D’après l’expression de votre visage je comprends votre déception. Vous vous demandez ce qui m’a poussé à investir dans cette ruine mais si vous voyez ce que ça peut devenir…cette maison coloniale est placée sur une colline, pas loin de la route régionale et c’est juste à trois quarts d’heures de la capitale mais dès qu’on y est, la rupture est totale. Le chemin qui y mène est étroit et peu praticable mais il est bordé de grands peupliers qui se balancent avec le vent et font jouer la lumières sur les visages des arrivants.

La maison est bien délaissée depuis longtemps mais son style colonial séduit même par ces persiennes effilées plus longues que larges mais dont le bois tombe en ruine.

Mais venez, venez, entrons !! La porte est très jolie aussi mais elle tient à peine debout, disons qu’on peut au moins en récupérer la poignée, elle est si finement ciselée.

Nous nous trouvons directement dans la salle principale avec peu de piliers, le plafond haut, inondé de lumière, et c’est pourquoi je refuse de mettre des rideaux aux fenêtres. Je reste hésitante quant au parterre, du parquet en bois ou du marbre ;

La grange attenante n’est pas moins intéressante. Elle pourra faire office de salle de restaurant. Les murs paraissent en piteux état mais ils sont solides, faits en pierre dure. L’aspect en est tellement beau et pittoresque avec cette rugosité qui rappelle la force que ce serait criminel de les enduire

La charpente par contre doit être toute refaite et j’opterais pour des tuiles en ardoises pour la recouvrir, c’est plus authentique.

La surface générale pourra accueillir jusqu’à 30 tables, des rondes bien-sur pas des carrées, les tables carrées sont moches. Elles seront assez espacées pour donner de l’intimité aux clients, mais pas trop pour ne pas avoir cette sensation de vide.

La grange communique avec la cuisine, ou ce qui devait en être une, je pense à un concept traditionnel avec des carrés de faïence blancs à décoration bleue mais équipée avec modernité. Vous connaissez les cuisines du sud de l’Italie, ces cuisines très vastes avec les bouquets d’herbes aromatiques, une batterie de casseroles en cuivre accrochées. Il y aura même un collier de figues séchées pendant au loquet de la fenêtre.

Les toilettes sont modernes mais doivent rester très sobres et surtout très confortables. On retourne vers la cuisine et on sort par la porte de derrière

Dehors on se retrouve dans le potager bio où les clients pourront cueillir les tomates qui feront leurs sauces ou ramasser les pommes de terre qui finiront dans leur purée.

On longe l’allée et au bout on retrouve les box des ânons. Ah oui ! Je ne vous ai pas dit, il y aura un élevage d’ânons. L’âne est mon animal préféré, il est tellement doux.

Les chambres sont à l’étage, elles ne sont pas nombreuses, juste quatre, mais elles garderont le même esprit minimaliste et dénué de toute complication, avec très peu de meubles, la décoration aura des tons entre le beige et le blanc cassé. Chaque chambre aura son propre balcon avec des bacs de fleurs, mais surement pas des géraniums (pas assez délicats à mon goût)… »

Elle se tut, prit le verre d’eau devant elle et en but quelques gorgées puis regarda de nouveau le banquier.

«  Vous savez cher Monsieur, je suis curieuse de savoir ce que vous en pensez »

Le banquier hocha de la tête :

«  Vous savez mademoiselle, il est très ambitieux votre projet vu l’état de votre heu…… a-cqui-si-tion, mais si jamais vous pouvez en tirer quelque chose il y a quelques détails à revoir : avant tout, les peupliers, il faut les arracher pour élargir le chemin d’arrivée, sinon aucune voiture ne pourra s’y engager. Ensuite changer la façade, peut être mettre du marbre rose, c’est tellement beau et ça donne un aspect moins triste. Le potager et l’élevage d’ânons il faut oublier, je n’y adhère pas du tout, Quelle idée d’élever des ânes, Mademoiselle !! A la place je pense à une piscine couverte chauffée et un mini green. C’est mieux non ? Avec ces quelques modifications je crois que je peux recommander très sérieusement votre dossier. »

Catégories
Nouvelles

La vie rêvée de Salma

Par Ines Ayed

Salma était assise au milieu de son salon plein à craquer. Elle entendait ses invités parler, se remémorer des souvenir. Certains poussaient des soupirs pleins de tristesse en citant le prénom de son défunt mari et en rappelant ses qualités. Elle les regardait hagarde, une migraine lui vissait les tempes et l’empêchait de comprendre ce que son amie à côté lui disait avec des sanglots qui la secouaient à chaque phrase. Salma tira une énième fois sur sa jupe noire et passa ses doigts sur ses cheveux gras réunis étroitement en une queue de cheval stricte. Elle voulait juste dormir, elle était capable de dormir plusieurs jours de suite tellement elle se sentait fatiguée. Mais il y avait tout ce monde, devant qui, elle devait assurer son rôle de veuve éplorée mais fière alors elle se ressaisit pour ramener à elle ses moyens, lever la tête et se concentrer sur les paroles de son amie:

« …Vous incarniez le couple parfait..hi !hi !.. Vous étiez tellement proches!..hi !hi !..Je sais que Hamadi va te manquer, il faut te montrer patiente ma chère !…. »

Mais Salma se sentit étouffée tout d’un coup, elle s’excusa auprès de son amie, se leva, alla prendre son fils des bras de sa grand-mère inconsolable et partit s’enfermer dans sa chambre.

les obsèques et les deux jours suivants passèrent sans qu’elle ne se rende compte. Il y avait ses proches pour l’épauler et compatir avec sa douleur. Ils s’activaient dans sa maison, rangeaient ses affaires et utilisaient sa cuisine. Quand finalement ils durent avec regret partir elle les remercia chaleureusement.

C’est en se retrouvant seule avec son petit garçon qu’elle put enfin se reposer et repenser calmement aux récents événements. cela faisait neuf jours et quelques heures que son mari était mort. La veille du jour fatidique, elle avait appelé le SAMU pour qu’on vienne secourir son mari ressentant tout d’un coup des douleurs intenses au ventre. Tout se déroula ensuite précipitamment et dans une confusion incroyable. La mort fut annoncée le lendemain matin à l’hôpital de cause naturelle.

Le premier choc passé, vint ensuite la douleur et la tristesse. Maintenant, elle ressentait l’urgence de se retrouver seule dans le calme de ses pensées, de réapprendre à vivre par elle-même. Elle qui avait toujours dépendu pleinement des autres, était désormais seule responsable de sa vie.

Hamadi n’était plus là! elle en éprouvait un soulagement. Son mari intelligent, imposant, charismatique et charmeur n’était plus là pour lui dicter ses choix. La perspective de vivre par elle-même, de disposer de son temps lui souriait déjà. Elle deviendra plus autonome plus libre, Hamadi n’était plus là pour l’écraser sous son autorité, pour lui lancer ses fameux « ma petite chérie » ou à d’autres « c’est ma petite femme ». Finie cette impression de petitesse et de soumission, finies aussi les remarques désobligeantes qu’il lui lançait devant tout le monde comme pour mieux montrer sa supériorité. Finies son indifférence à ses démarches pour se rapprocher à nouveau et ses gifles sifflantes quand elle hurlait sa colère.

Elle prit un morceau de papier et écrivit tout ce dont elle avait envie et qu’il lui interdisait:

des robes courtes à petites fleurs, une nouvelle coupe de cheveux carrée, de nouveaux coussins aux couleurs chatoyantes pour le salon, ….

Elle sourit même à l’idée d’avoir son enfant pour elle seule, alors qu’il considérait son père comme un héros, qu’il l’admirait plus que tout et qu’il reprochait à Salma de ne pas être aussi « chouette » que lui. Dès qu’elle finira les démarches administratives pour continuer à percevoir le salaire de Hamadi, elle partira en voyage avec son petit garçon pour retrouver un peu de complicité avec lui. Elle essaiera juste par décence de ne pas trop montrer la satisfaction de cette nouvelle vie, elle ne voudra surtout pas éveiller la suspicion de son entourage. Elle se rappelle encore comme elle avait eu chaud quelques jours après l’enterrement, quand sa belle-mère remarqua l’absence de l’un des six verres soufflés qu’elle lui avait offert à son mariage et comme elle avait eu peur qu’elle ne découvre qu’elle l’avait pilé pour en mettre les débris dans le dîner de son mari. Une peur qui se dissipa quand sa belle mère reprit en souriant tristement : » Que signifie la perte d’un verre quand on a perdu notre cher Hamadi » .

Catégories
Nouvelles

Paris, ville des lumières

Par Ines Ayed

Najeh reposa sa dernière valise et s’affala sur le fauteuil juste en face de sa mère:

  • alors raconte-moi, comment elle est ?
  • tu la connais. C’est la fille des voisins de ton oncle. C’est elle qui servait les pâtisseries au mariage de ta cousine il y a trois ans.
  • Mais c’est une gamine !
  • Pas du tout. Elle va avoir dix-neuf ans au début de l’année qui arrive. Elle devait passer le bac cette année mais cela fait un moment qu’elle ne va plus au lycée. Sa mère voulait l’envoyer à l’usine pour qu’elle aide aux dépenses de la famille et qu’elle s’achète un trousseau. Mais depuis que je suis allée lui demander sa main pour toi, elle a changé d’avis. Maintenant elle empêche sa fille de sortir, de peur qu’elle ne soit halée par le soleil.

La maman finit sa dernière phrase dans un rire gras, heureuse que son fils soit la source d’un empressement aussi remarqué chez cette famille pauvre. Non ! Pas pauvre, démunie comme il avait demandé. Il avait précisé à sa mère vouloir épouser une très jeune fille qui n’aurait aucune prétention de richesse ou de savoir. Elle serait fraîche et belle comme un bouton de rose pas encore éclos.

Sa famille à lui non plus n’était pas riche mais sa réussite sociale a bien changé les choses. Il avait toujours été bon élève, étant plus jeune, jusqu’au bac obtenu avec mention. Il partit alors, avec une bourse, finir ses études en France. Il était resté ensuite pour y travailler. Les années passèrent rapidement, quinze ans déjà. Il avait changé en tout, même en apparence. Il n’était plus ce jeune maigrichon peu sûr de lui, maintenant il avançait son ventre imposant en toute confiance et renversait avec suffisance sa tête dont la calvitie ne cessait d’avancer.

Ces années n’avaient pas été faciles. Au début, il avait souffert de pauvreté et encore plus de solitude. Mais même plus tard en devenant un haut cadre respecté d’une grosse boîte, il n’avait jamais pu s’intégrer ni se faire des amis français. Il avait, certes, quelques amis tunisiens mais ils avaient tous sans aucun problème adopté la culture française, ce qui rendait leurs relations difficiles. Lui, par contre, était fier d’affirmer, qu’en quinze ans il n’avait pas bu une goutte d’alcool. Sauf que pour les femmes, c’était une autre paire de manches. Il aurait aimé pouvoir leur afficher la même résistance, mais comment dire non à ces blondes parisiennes libérées et tellement jolies.

Il se rappela plusieurs de ses conquêtes qui trouvaient irrésistibles son air basané et ses yeux noirs. Il se rappela surtout la dernière et la plus belle de toutes : Séverine. Elle avait de minuscules mains toutes douces et une voix encore plus douce. Elle chantonnait souvent des airs qu’il ne connaissait pas et riait d’un rire sonore de le voir vouloir la suivre. Il aurait pu vivre heureux avec elle, comment ne pas l’être et ne pas l’aimer. Il avait eu le coup de foudre dès le premier jour qu’il la vit au bureau en jeune stagiaire pimpante. Il fut étonné quand elle accepta de sortir avec lui. Elle est venue ensuite au bout de quelques mois habiter avec lui et avait pris une place importante dans son quotidien. Son odeur, sa voix, leur intimité avaient fait son bonheur pendant un peu plus d’une année jusqu’au jour où elle lui parlât d’avoir un enfant. Là il eut un déclic. Il ne pouvait pas concevoir un enfant hors mariage mais comment épouser une femme qui avait tant connu avant lui, une femme dont il ne serait pas l’absolu maître et raison d’être, même s’ils s’aimaient. Cette certitude lui donna le courage de tout quitter : son appartement, ses meubles et Séverine.

Il déménagea dans un duplex beaucoup plus chic en banlieue qu’il décora avec goût et appela sa mère pour lui dire qu’il avait enfin décidé de se marier.

Il rentrerait à son village natal et se choisirait (ou laisserait plutôt sa mère choisir) une jolie brune fraîche comme la rosée avec de longs cheveux noirs et soyeux, qui se tairait quand il parle et lui obéirait religieusement.

Il se sourit à cette idée et demanda à sa mère :

  • Elle s’appelle Afef si je me rappelle bien. tu as demandé si elle savait préparer le couscous ?
  • Oui oui c’est Afef. Et elle sait bien cuisiner depuis des années déjà. Elle est l’aînée de quatre frères, c’est elle qui remplace sa mère pour les tâches ménagères. Elle est aussi brave que jolie. J’ai précisé à sa maman qu’elle n’aura pas besoin de trousseau. Qu’elle voyagerait avec une simple valise dès que les papiers seraient prêts et que le mariage est célébré. Elle a demandé quelle sorte de maison tu as là-bas et si c’était bien meublé. La pauvre dame ! elle n’en revient pas que sa fille va habiter Paris.

Les jours qui suivirent furent occupés à préparer les papiers pour le contrat de mariage nécessaires à l’obtention de papier de séjour pour Afef. Leurs contacts à tous les deux avaient été très froids, silencieux et toujours très entourés.

Le contrat de mariage fut sobrement signé à la municipalité. La date de la cérémonie fut fixée dans cinq mois. Juste avant son départ pour Paris ils étaient sortis ensemble pour faire meilleure connaissance.

Dans le salon de thé, il ne cessait de l’observer alors qu’elle baissait la tête timidement. Son visage rond, au teint clair, était encore celui d’une enfant. Ses cheveux manquaient de volume à cause de leur longueur mais tombaient souples et d’un noir spenldide. Elle les ramenait sans cesse derrière l’oreille puis titillait le solitaire trop gros pour son annulaire. Elle avait les formes généreuses et mettait en valeur cette nouvelle robe bleue qu’elle portait pour l’occasion.

-Alors parles-moi de toi, Afef.

Elle leva à peine vers lui ses longs cils qui cachaient un regard perdu puis rebaissa la tête sans rien dire.

-Es tu heureuse de partir à Paris ?

Le timide « oui » qu’elle lança fut à peine audible. Elle ne parla plus pour le reste de la sortie et quand il la ramena chez elle, elle lui tendit le bout des doigts pour lui souhaiter un bon voyage. Il repartit pour Paris.

Les cinq mois passèrent rapidement. Ses longues conversations au téléphone avec sa mère ne parlaient que des préparatifs du mariage, de la dot, des cadeaux à apporter et de pleins d’autres détails qu’il était heureux de s’en savoir débarrassé.

Il avait tenté d’appeler Afef pour faire meilleure connaissance, mais elle restait, comme au début, silencieuse et timide. Alors il cessa et se dit qu’après le mariage tout ira mieux.

Il revint avant deux semaines de la cérémonie, mais n’eut pas de répit. Sa mère avait tout le temps une course à faire ou des proches à inviter. La célébration dura sept longs jours tapageurs et fatigants. La famille s’amusa beaucoup, lui était heureux d’en finir et souffla quand le cortège les mena enfin à l’hôtel où ils devaient passer la nuit de noces.

Elle s’assit sur le lit avec sa robe gonflée et son voile ébouriffé. Il vint s’asseoir près d’elle lui tint la main :

-Afef, tu te sens bien ?

Elle ne répondit pas, ne le regarda pas et lutta pour ne pas retirer sa main. Il parlat encore de la fête fatigante, de leurs familles, de leur voyage et de leur vie future mais au bout de quelques minutes il se lassa, étant éprouvé lui-même par la fatigue. Il se changea dans la salle de bain, vint se mettre au lit, lui tourne le dos et dormit. Il se leva le lendemain et la trouva fin prête. Son maquillage sophistiqué avait été essuyé. Seuls un peu de noirceur aux yeux et de rougeur aux lèvres persistaient. Elle avait peigné ses cheveux et ils tombaient naturels inchangés et il se dit qu’il avait eu raison d’insister auprès de sa mère pour que sa femme ne se teint pas les cheveux.

Seul bémol : son tailleur blanc de très mauvais goût avec des manches en dentelles, très mal assorti en plus à ses bijoux en or, qu’elle a cru bon de tous les porter.

-Afef, dans les vêtements que je t’ai ramenés avec moi, il y a une petite robe en écru. Tu t’en rappelles ?

-Oui

-Vas la mettre. Et enlèves ces bijoux aussi, gardes seulement les boucles d’oreilles et la montre. Range le reste dans la petite valise noire.

Elle lui obéît.

La visite des deux familles et le vol à Paris se passèrent rapidement et dans un silence pesant.

Il avait cru qu’elle continuerait à l’ignorer mais fut agréablement surpris quand il vit qu’elle se sentit tout de suite très à l’aise dès leur arrivée. Elle rangea ses affaires et inspecta toutes les pièces. Elle semblait amusée et ravie de retrouver une maison aussi jolie. Il voulut la laisser tranquille un moment et sortit faire les courses. Quand il revint il la trouva fraichement sortie de la douche et affairée dans la cuisine. Elle lui sourit timidement en le voyant entrer et déballer les sacs de provisions. Elle lui proposa même de lui préparer à manger.

-Je voudrais bien oui.

Le diner fut succulent et l’ambiance commença à se dégeler. Elle était plus détendue bien qu’encore très réservée. La soirée se passa agréablement. Ils discutèrent de tout ce qu’elle pouvait faire pour occuper ses journées. Il lui proposa de suivre des cours de langue française pour apprendre à le parler couramment et de chercher d’autres activités pour qu’elle se fasse des amies et qu’elle ne s’ennuie pas.

A l’heure de se mettre au lit, il hésitât à faire une approche mais quand il s’avança, elle se laissa faire sans avoir la moindre réaction. Ils consommèrent leur union sans aucune passion. Il ressentait un peu de frustration car elle était comme indifférente et insensible à ses caresses. Il mettait en cause son manque d’expérience et la fameuse première fois. Il avait toujours eu jusque là des partenaires expérimentées et réactives, qui savaient prendre du plaisir autant qu’en donner. Mais ça changera, le temps les rapprochera et réveillera le désir en elle.

Afef intégra un cours de langue française. Auquel, il la déposait chaque matin et elle rentrait à midi en bus. Il remarquait sa facilité à apprendre et à intégrer le groupe d’émigrés qui venaient comme elle améliorer leurs connaissances de la langue. Il l’observait quand elle descendait de la voiture et qu’elle s’avançait sans aucun complexe, vers les jeunes venus de tous bords amassés devant le centre, elle avait le sourire aux lèvres et la tête bien droite. Il la trouvait bien différente à ces moments, elle était charmante et rayonnante.

Les jours passèrent. Afef prenait toujours soin de son foyer et lui cuisinait les mets les plus délicieux, mais elle changeait imperceptiblement. Elle lui demanda de ne parler qu’en français pour l’aider à s’améliorer rapidement, elle prenait de plus en plus confiance en elle. Elle avait appris très rapidement à s’habiller élégamment et à se maquiller légèrement. Elle testait quelques recettes de cuisine française qu’elle dégotait sur le net et riait devant son étonnement. Il aurait aimé voir ces changements jusque dans leurs rapports intimes mais elle gardait toujours cette froideur et il n’arrivait à créer aucune symbiose entre eux.

-Un mois, déjà !

Au bureau, devant son écran, il y pensa en regardant la date. Il se dit que ce soir il devait faire plus d’efforts, il passerait lui acheter du parfum et des fleurs. Ils sortiraient diner dehors, ils se baladeraient aux Champs-Elysées et il saura alors gagner son cœur.

Il se hâta de prendre sa veste et de quitter son travail. Il arriva chez lui les bras chargés. Il appela Afef mais elle ne répondit pas. Il reposa ses paquets et la chercha partout, mais ne la trouva pas.

Dans la chambre à coucher, Afef n’était pas la seule à disparaître. La commode était nue et ne portait plus ses parfums et sa brosse à cheveux. La garde-robe était aussi vide que le reste. Il s’assit abattu sur le lit la tête dans les mains, avant de se rappeler. Il se leva précipitamment, mit une chaise et prit la petite valise noire sur la garde robe. Il l’ouvrit….il n’y avait rien !

Catégories
Nouvelles

Blind Date

Par Ines Ayed

– Oh c’est quoi ces chaussures horribles ??

– Quoi ? Tu les trouve moches ?

– Tu resteras célibataire ma grande tant que tu n’auras pas changé ton goût en chaussures.

– N’importe quoi ! C’est quoi le rapport ?

– Saches que notre choix des chaussures reflète notre choix des mecs. Je vais t’expliquer : la couleur de ta paire de souliers correspond à la fantaisie du mec que tu choisirais, leur finesse correspond à son intelligence mais le plus important, ma chère, c’est les talons. La longueur de tes talons rallonge la ligne des zéros du compte bancaire de ton partenaire potentiel. Les femmes choisissent les hauts talons en croyant que c’est plus élégant, plus féminin ou que ça leur donne une plus belle allure. Il n’en est rien. Ça reflète implicitement une image distinguée et élevée comme le rang social de l’homme qu’elles convoitent.

– Je vois que tes années d’études en psychologie n’ont pas été vaines. Et ta paire de chaussures, alors, qu’est ce qu’elle reflète ?

– Elle ne reflète rien du tout.

– Hayet, est ce que ça va avec Hedi ? Vous avez des problèmes ?

– Non. Hedi est un homme gentil, calme et pacifiste mais cela rend notre relation sans friction sans éclat, ça la rend ennuyeuse. Tu sais il est comme une paire de chaussures noire, confortable et quelconque. Je l’aurais enlevé volontiers mais j’ai horreur de marcher pieds-nus. Mais concentrons- nous sur toi pour t’éviter ma mauvaise fortune. Je vais te donner quelques conseils pour réussir ton rendez-vous.

– je le sens pas ce rendez vous. Je le connais à peine ce mec, cela fait seulement un mois qu’on parle sur le net. Tu sais je connais si peu de choses à son propos. Je ne comprends pas qu’il veuille rester mystérieux. Moi, les cachoteries, ça ne m’a jamais rassuré.

– Ce n’est pas grave. Tu vas le connaître en vrai c’est encore mieux ! Fais confiance à ton instinct et aux premières impressions, ce sont les moins trompeuses, crois moi. Et pour optimiser la discussion que vous aurez je vais te donner quelques astuces. D’abord, si tu veux connaître ses défauts à ce Farid…c’est bien comme ça qu’il s’appelle ?

– Oui Farid. J’espère qu’il a la voix qui va avec.

– Donc je disais si tu veux connaître les défauts de ton Farid, demandes lui quels défauts il déteste chez les autres car saches ma belle que généralement et en premier lieu on déteste chez les autres ses propres défauts. Ensuite, sois la moins bavarde possible et laisse le parler. Plus il parlera, plus il se révélera et tu sauras le juger. S’il te pose trop de questions sois évasive et réponds par des questions. Et ne crois pas ceux qui te disent que l’habit ne fait pas le moine. On reconnaît d’abord un moine par sa soutane. La première apparence est toujours la bonne, fais confiance à ton instinct. Nous les femmes, nous avons un sixième sens pour reconnaître les loosers mais nous l’utilisons rarement et le regrettons plus tard.

– Ça me stresse tous ces conseils…voila le café arrête la voiture. C’est déjà l’heure !

– Tu arrives toujours à l’heure à tes rendez vous galants ? Ça peut être mal vu une femme qui arrive a l’heure. Ça donne l’image d’une désespérée. Sois plutôt grincheuse et ennuyée. C’est ce qui plait aux hommes tunisiens.

– Hayet, t’exagère quand-même ! Tes théories te montent à la tête. Ciao.

– Hey ! Je veux un rapport détaillée ce soir. Je ne dormirai pas tant que tu ne m’appelles pas.

– Ok, ok, vas-t-en maintenant !

Salwa s’éloigna de la voiture de son amie qui démarra de suite. Elle s’arrêta un moment devant le café pour se redonner du courage puis y pénétra.

Elle inspecta le lieu. Il n’est pas encore là. Elle choisit un coin ensoleillé et s’y installa.

Qu’est ce qui l’a pris d’accepter un rendez-vous avec ce Farid. Quelle tête il peut bien avoir ? Le physique n’est pas important ! C’est ce qu’elle ne cesse de se répéter. Mais si c’était important. Si ce mec était laid, difforme…elle regarda autour d’elle pour se changer les idées et vit son reflet en face. Elle prit le temps de se détailler : c’est vrai que ses chaussures étaient quelconques mais sa petite robe rouge rattrapait le coup. Son ourlet cachait à peine le genou et son modèle évasé magnifiait sa taille et ses rondeurs. Son visage était légèrement maquillé et elle se félicitait d’être parvenue enfin à avoir des cheveux volumineux et soyeux. Tout était parfait.

Elle regarda sa montre déjà huit minutes passées. Elle commençait à croire que son amie avait bien raison. Juste à ce moment, elle leva sa tête vers l’entrée et vit entrer quelqu’un. Il s’avançait en balançant un peu les hanches. Un homme qui se dandine autant n’annonce rien de bon. Il s’arrêta près de sa table. Il était de taille moyenne, d’âge moyen, ses traits étaient…..tout chez cet homme était apparemment moyen.

– Salut, c’est toi Salwa ?

Il s’affala sur la chaise sans attendre la réponse et sortit son paquet de cigarette. Il chercha le serveur des yeux puis revint vers elle :

– Alors ma jolie t’as bien deviné que c’est moi Ferid mais mon vrai nom c’est Jalloul enfin Jalel mais tout le monde m’appelle Jalloul et toi, Salwa, c’est ton vrai nom.

– Oui, désolée si j ai pas fait preuve de plus de fantaisie.

Le serveur arriva et présenta deux cartes chiffonnées que Jalloul ne regarda pas et demanda :

– Un Expresso pour moi, un jus de fraises pour la demoiselle et une bouteille d’eau minérale.

– Non pas de fraises pour moi

– Oh ! Elle est allergique aux fraises.

– Non je ne suis pas allergique c’est juste que je n aime pas le jus de fraises, ramenez autre chose. N’importe quoi !

Jalloul se vautra encore plus sur sa chaise, la regarda et lui sourit. Il avait des dents impeccables : enfin, une qualité !

– Alors comment ça se fait qu’une fille aussi jolie que toi soit toujours célibataire

– Ce sont des choses qui arrivent tu sais.

La discussion continua, lassante, avec un questionnaire à sens unique. Ses questions portaient sur tous les sujets d’intérêts et même les sujets sans intérêt. Elle ne comprenait pas où étaient partis le sens de l’humour et le sens de la repartie de leurs échanges virtuels.

– Jalel, pardon mais je ne te reconnais pas. C’était différent sur le net.

– Ah il faut que je t’avoue un truc. Ce n’est pas moi qui te parlais. J’avais demande à un copain à moi qui s’y prends mieux pour parler intelligemment et t’impressionner.

– Oh !!!

Salwa réfléchissait vite à ce qui serait la meilleure réaction à ce genre de révélation. Elle regarda Jalloul et lui dit :

– Ce que tu me dis là explique bien des choses. Nous n’avons rien en commun et rien à faire ensemble. Je vais juste te demander un dernier truc….ton copain, il est célibataire ?

Catégories
Nouvelles

Café des supplices

Par Ines Ayed

Qu’est ce qui lui a fait choisir ce café? A part l’inscription Wifi sur la porte, le hasard le plus total. Si Nejib avait été un peu plus concentré, il n’aurait jamais opté pour celui-là. Mais là il manquait de temps et de volonté pour aller plus loin. C’était un de ces cafés sombres et sans fenêtres, qui donnaient cette impression de suffocation dès qu’on y entrait.

Il s’empressa de s’asseoir et de déployer son lap top et son calepin. Il tira de sa poche son Smartphone. Puis du fin fond de sa besace il sortit son crayon. Il rangea ses affaires sur la table et tourna la tête vers la serveuse qui s’avançait vers lui avec une nonchalance décourageante.

Elle se tint devant lui ennuyée sans lui dire bonjour. Il lui sortit son plus beau sourire d’homme poli à toute épreuve. Elle parut gênée par son sourire et ne proposa rien.

  • Vous avez de l’eau minérale aromatisée, s’il vous plait ?
  • Non
  • Vous avez du jus d’orange frais ?
  • Non
  • Ah ! Qu’est ce que vous avez alors ?
  • Des Sodas, des cafés Lavaza, de l’eau minérale….
  • Plate ou gazeuse ?
  • Pardon ?
  • Gazéifiée ou normale, l’eau minérale ?
  • Non normale.
  • Une bouteille d’eau normale, alors !
  • Et ?
  • Et rien. Ah oui ! est ce qu’il y aurait une zone non fumeurs ?
  • Une zone quoi ??
  • Euh non, je ne supporte pas la fumée.

Elle le regarda avec presque du dégoût : quel genre de mecs était celui qui ne supportait pas la fumée, qui n’avait pas les doigts et les dents jaunies par une bonne vieille clope, qui n’avait pas une haleine de chien et une toux caverneuse ?

-Non nous n’avons pas une telle chose.

-Tant pis, sinon le mode de passe pour le wifi.

– c’est le nom du café sans espace et tout en minuscules.

Il prit son mal en patience, son étonnement était sans limites. Comment peut-on exercer un tel métier quand on est aussi mal élevée ?

Il se rendit compte que toute la conversation s’est faite à haute voix car l’écran accroché au dessus de lui chantait a tue-tête. Cet écran, d’une platitude effarante, semblait pourtant solliciter l’attention de l’assistance composée d’une tablée de quatre jeunes hébétés et affalés sur leurs chaises, un quinquagénaire ventru barbotant sans relâche une chicha et un couple silencieux et triste.

Il essaya de s’éclaircir les idées de se concentrer pour finir la conclusion de son rapport et l’envoyer. Il tapa le mot de passe et attendit : rien. Il réessaya : encore rien.

Il essaya de s’assurer de l’orthographe, lettre par lettre : toujours rien.

Il appela la serveuse pour lui dire, elle l’ignora un moment puis opina de la tête pour lui dire qu’elle vient. Il la vit s’attarder près de la table des jeunes à plaisanter et à distribuer des sourires. Nejib était vexé de n’avoir droit, lui, qu’à la mauvaise humeur.

La serveuse revint enfin avec une bouteille poussiéreuse, la posa sur la table, et à côté, un verre à la propreté douteuse.

  • Attendez Mademoiselle, Internet ne marche pas.
  • Si, ça marche.
  • Je vous assure que non.

La serveuse grimaçait et semblait dire : et alors ? Qu’est ce que tu veux que j’y fasse ?

  • vous pouvez redémarrer le modem ?
  • je vais voir.

Elle s’éloigna et disparut derrière une porte sur laquelle il y avait écrit Privé.

Quelques longues minutes passèrent et Nejib se sentait idiot devant son écran vide. Que pouvait-il faire, payer la bouteille d’eau tiède à peine entamée et partir, ou attendre ? La perspective de quitter cet antre à zombies était bien séduisante mais il était lessivé par la longue marche de tout à l’heure, en plus il manquait de temps, où pouvait-il aller pour envoyer ce rapport ?

Nejib était tout absorbé quand un grand bruit le fit sursauter et il sentit rompre son cœur. La serveuse avait en fait posé avec grand fracas un cendrier vide sur sa table.

Le jeune homme leva vers elle son plus mauvais regard, jeta deux pièces de monnaie sur la table, ramassa à la hâte ses affaires et prit la direction de la porte.

La serveuse étonnée de le voir partir en trombe le héla :

– Mais Monsieur, internet remarche ! 

Catégories
Nouvelles

Au mariage

Par Ines Ayed

Deux ans que Safa n’a assisté à aucun mariage ni de proches ni d’amis. Elle ne se rappelait pas pourquoi elle a accepté l’invitation cette fois. Peut-être parce que celui-là était un peu hors saison…..non mais quelle idée de venir!

Elle passa ses doigts dans sa frange nouvellement coupée pour lui donner du volume et essaya de résister à l’envie de toucher le reste de ses cheveux. Qu’est ce qui l’a pris de dire oui au brushing. Ne pouvait-elle pas expliquer à l’esthéticienne bavarde qui lui embuait les yeux avec la fumée de sa cigarette que toutes ses expériences précédentes en matière de coiffage ont été un véritable fiasco ?

Elle regarda autour d’elle. Comment font les autres femmes pour être aussi impeccables. Leurs cheveux, leur maquillage, leurs ongles, leurs robes…..toute partie de leur corps semble avoir requis la même attention minutieuse et patiente.

Combien leur faut-il pour souligner le regard, rehausser le teint et magnifier le sourire ? Elle voyait des décolletés s’épanouir, des fentes s’échancrer et les yeux des hommes en face pétiller de plaisir. Les invitées allaient et venaient claquant leurs talents hauts et balançant leurs hanches rondes et moulées.

Une connaissance vint lui faire la bise :

  • Ah ! C’est pas vrai ! Safa c’est toi ! T’es vraiment en beauté ça te change.
  • Merci oui j’ai pensé faire un effort.

Elle fila saluer et embrasser d’autres amies. Les membres de la troupe musicale se résolurent enfin à interrompre l’interminable chanson de Tarab qu’ils massacraient depuis un quart d’heure et optèrent pour des chansons au rythme résolument plus entrainant. L’assistance ne se fit pas prier et la piste se remplit de déhanchements, de balancements, de tremblements et même de petits sautillements pour les moins doués.

En regardant les différentes prestations elle essaya de se rappeler où elle avait lu que l’on dansait comme on faisait l’amour. Elle détailla les couples qui se faisaient face et essaya d’analyser leurs « parades nuptiales ». Un couple assez jeune attira son attention : ils étaient beaux tous les deux. Lui était grand et élégant, elle était fine et sexy. Mais leurs cadences différaient, il était rigide et bougeait très peu, elle montrait plutôt une souplesse et une mouvance très attrayantes. La fille essaya de faire des pas vers la droite et vers la gauche mais son partenaire ne suivait pas. Ils ne montraient aucune complicité. Leurs rapports intimes ne devraient pas être très brillants.

Son analyse fut interrompue par la venue d’une grosse dame qui s’assit à sa table, juste à côté d’elle. Elle devait avoir la cinquantaine, portait une robe trop moulante et les cheveux coupés très courts. Elle ouvrit sa pochette pour sortir son paquet de cigarettes et avec un sourire radieux en offrit à Safa, qui déclina poliment. La dame alluma sa clope et renversa sa tête en arrière en soufflant avec une élégance digne des actrices des années soixante, malgré le double menton, les dents jaunies et les cheveux au blond criard.

Safa regarda cette dame solitaire en essayant de deviner son histoire. Elle est peut-être divorcée ou veuve, en tout cas elle ne doit pas avoir d’enfants. Elle doit avoir un appartement chic à la banlieue et une boutique de prêt-à-porter. Non elle est plutôt retraitée de la banque.

Safa l’observa qui mordait dans une baklawa à pleines dents. A quoi ressemble la vie sentimentale d’une femme comme elle ? Des proches doivent la blâmer parce qu’elle ne se voile pas encore les cheveux, à son âge. Elle doit vouloir profiter de ses dernières années, se presser pour vivre une dernière romance, sentir encore battre son cœur. Elle la voit passer des soirées solitaires et désespérées sur des sites de rencontres à chercher un partenaire plus au moins convenable qui lui tiendrait compagnie et réchaufferait ses nuits d’hiver.

Dans quelques années, quand elle aura complètement désespérée de refaire sa vie avec un homme. Elle fera venir chez elle l’une de ses nièces pour ne pas rester seule dans ses vieux jours. Elle la gâtera et lui léguera plus tard tous ses biens. A sa mort on dira qu’elle a été une bonne personne mais qu’elle a manqué de chance. On ajoutera même qu’elle partait assister seule aux cérémonies de mariages pour tromper sa tristesse…..

-M’ma pourquoi tu réponds pas à ton téléphone ?

Le garçon dodu qui se tenait debout devant sa voisine de table, boudait comme un enfant gâté.

-Papa t’appelle depuis tout à l’heure pour te dire qu’il est temps de partir.

-Ah oui ? D’accord oui, je suis prête.

La dame éteignit sa cigarette, se leva avec une légèreté surprenante puis se tourna vers Safa :

-Bonne nuit petite, je te souhaite un aussi beau mariage.

Catégories
Nouvelles

Tristesse

Par Ines Ayed

-….Et alors le processus qu’ils utilisent montre très clairement ses failles….moi je voudrais leur dire……moi…….savoir……eux ……devoir….

Au bout d’un moment, elle n’entendait plus que des syllabes perdues. Elle souffrait pour garder ses yeux ouverts, ne pas pencher la tête et s’endormir.

Elle coupa le flot des paroles émis par son collègue et partit dans la salle d’eau. Elle s’aspergea le visage une, deux, trois fois. Elle avait sommeil, c’est fou ce qu’elle avait sommeil.

Elle revint dans le bureau.

  • Tu vas bien ? tu as l’air fatigué. Tu t’es couchée tard hier ?
  • Oui, super tard mais c’est bon. Je rentre.
  • Le patron n’aimera pas, tu sais.
  • Tant pis.

Comment lui avouer que là, elle était indifférente à tout et encore plus à ce qu’en pensera son patron. Elle voulait juste rentrer et dormir.

Dans la rue, la sensation d’abattement et de vide la prenaient à la gorge. Elle n’arrivait plus à respirer. Elle s’adossa au mur un moment pour reprendre son souffle et choisit de prendre un taxi, elle ne pourra jamais marcher.

Elle héla le premier qu’elle vit venir, monta et commanda sèchement son adresse.

Elle n’écouta pas le chauffeur lui parler de la circulation infernale, des automobilistes arrogants ni de cette chaleur suffocante….elle aurait aimé, elle, ne suffoquer que de chaleur.

Elle essaya de se rappeler la consigne de son médecin : chercher à se faire plaisir, un plaisir simple et superficiel. Mais qu’est ce qui lui ferait plaisir en ce moment ? Elle essaya de sonder ses envies au plus profond de son âme. S’acheter une paire de chaussures rouges peut-être ? Aller se goinfrer avec des gâteaux au chocolat ? Embrasser les lèvres bavardes mais sensuelles de son collègue pour le faire taire ?….non tout ce qu’elle voulait en ce moment c’était dormir et que cesse ce mal de tête. Mais qu’est ce qui l’a rendu si hermétiquement insensible aux simples plaisirs. Pourquoi n’irait elle pas chez le coiffeur se faire une coupe pour aller mieux comme font toutes les filles ? Pourquoi il a fallu qu’elle soit si compliquée ?

Elle se rappela avoir lu dernièrement un essai sur la sophrologie, le développement de soi, le positivisme… Elle avait pris très au sérieux le sujet, s’y était appliqué un certain temps, y avait vraiment cru et espéré y trouver la solution pour « ses crises » et ça avait vraiment marché pendant un temps. Elle s’était remise à revoir ses amis, à faire de nouvelles rencontres, à faire des projets pour l’avenir. Elle a oublié quand est ce qu’elle a replongé de nouveau dans la tristesse, mais la rechute d’humeur a failli lui être fatale, elle avait envisagé alors pour la première fois d’en finir, la solution serait d’une simplicité et d’un calme apaisants, ce serait juste s’endormir et oublier de se réveiller …un reste de volonté dérisoire l’en a dissuadé au dernier moment et elle a même cédé ses somnifères à une amie pour éviter le dérapage.

Dans son entourage, on s’était étonné, justement, de la voir prendre des somnifères alors qu’elle dormait suffisamment et même un peu plus que la moyenne. Seul son médecin savait qu’elle les prenait pour stopper les cauchemars. Elle y retrouvait les pires scenarii possibles : des chambres qui rétrécissent, des dédales de rues sombres et épouvantables, des escaliers enchevêtrées et qui ne mènent nulle part, les dents qui tombent, une incapacité à marcher, ses proches qui l’ignorent alors qu’elle est nue…et plus encore. Un sommeil agité et discontinu dont elle se réveillait encore plus éprouvée. Ces somnifères lui permettaient de dormir enfin profondément et sans rêver.

Son téléphone sonna et le nom Farah s’afficha :

  • Bonjour Farah
  • Oh si tu savais, il m’a quittée. C’est pour de bon cette fois. Je sais qu’il ne veut plus de moi. Oh peut-on être aussi misérable que moi. Viens chez moi s’il te plait, je vais mal, j’ai envie de mourir.
  • Pourquoi tu ne prends pas les cachets que je t’ai donnés.
  • Ah non ! je ne les veux pas tes cachets, ils me font un effet bizarre et me donnent la nausée.
  • D’accord je viens te voir et on parlera de ton problème.
  • Oh oui ma chère, j’ai tellement besoin de toi.
  • Allo Farah, écoute !… Je reprendrais mes cachets aussi.
Catégories
Nouvelles

Coach d’amour

Par Ines Ayed

La porte était facile à ouvrir. Elle n’eut qu’à tourner la poignée et à pousser.

Le salon derrière était bien vaste mais peu meublé. Comme devinant sa présence, un jeune homme sortit d’une autre porte au fond et vint vers elle. Il la salua et la fit entrer à son bureau.

Le bureau était plus convivial que le salon et décoré avec goût. Le fauteuil dans lequel elle s’assit était bien confortable mais la fit un peu plonger. Elle se présenta puis dit :

  • Alors comme ça vous êtes un coach d’amour, c’est plutôt atypique. Moi j’ai beaucoup hésité avant de venir mais une grande curiosité m’a finalement poussée à venir découvrir.
  • Je comprends alors que vous n’êtes pas venue pour mes conseils.
  • Si, si. Je suis, tout de même, nulle en amour et j’ai besoin de vos lumières.
  • Expliquez-moi comment on peut être nul en amour.
  • Dites-moi d’abord. Comment devient-on un coach d’amour ? Quelles sont vos qualifications ?
  • Mes seules qualifications sont la vie, mon expérience et celle des personnes de mon entourage. Mes moyens : une grande écoute et une forte perception des autres.
  • -D’accord vous aurez comme challenge de m’aider alors.
  • Avec grand plaisir, c’est mon rôle alors parlez moi de vous.
  • je ne saurais pas me décrire, ce n’est pas très honnête de le faire, mais je sais que certains me voient comme une femme froide, coincée, distante et intellectuelle. D’autres me voient comme une femme trop directe, peu romantique, intelligente et pas assez fragile. Je peux continuer longtemps avec ces descriptions mais je peux vous dire que le point commun est qu’aucun de ces portraits qu’ils peignent de moi n’inspire l’amour.
  • -Vous êtes bien pessimiste, il y a toujours quelqu’un à qui on inspire l’amour. Parlez-moi de vos qualités.
  • -(je ne sais pas si c’est une bonne idée mais bon) A ce que je sais, je suis drôle : on me le dit tout le temps, je suis même sarcastique mais les gens ne captent pas toujours mes allusions. Je suis généreuse et altruiste, on me le dit aussi, j’aime donner et aider les autres. J’ai d’autres qualités mais personne ne les remarque.
  • Dites-moi.
  • -Je suis matinale, joyeuse, j’aime chanter et danser, j’aime lire, j’ai une capacité étonnante à écouter les autres. Je suis créative, très créative : une vraie boite à idées, j’ai une imagination débordante. Mais personne jusque là n’est venu assez près pour voir tout ça.
  • mais de votre côté, personne ne vous inspire l’amour ?
  • Si, mais sans aucune réciprocité….vous savez -J’ai regardé dernièrement un film qui s’appelait « une semaine ordinaire » et dont le personnage principal (un homme) me rappelait exactement ce que je vivais. Il disait que les femmes, qui l’attiraient physiquement, n’avaient aucun intérêt pour lui sur le plan humain. Celles par contre avec lesquelles il pouvait parler et échanger des idées, ne l’attiraient pas physiquement et si par hasard les deux qualités se réunissaient chez la même femme, elle avait toujours un copain. Moi c’est pareil avec les hommes.

Imaginez qu’à mon âge je n’ai jamais eu de vraie histoire d’amour.

  • Et quel type d’hommes vous pensez attirer, sans réciprocité, comme vous dites ?
  • Il y a essentiellement quatre catégories : Tout d’abord les instinctifs, ils sont généralement charmants physiquement. Ils sont imposants, arrogants et poussent même jusqu’à se montrer intimidants. Ils me racontent leurs exploits de super héros et sont déçus de ne pas voir mes yeux briller d’admiration. Ensuite, il y a les « Calimeros » qui sont timides, pas très surs d’eux mais qui sont d’une gentillesse et d’une douceur infinies. Quelques rares fois, ils peuvent se montrer entreprenants, quand ils arrivent à rassembler leur courage, mais ne tardent pas à se vexer et à redevenir introvertis si je ne suis pas absolument et éperdument amoureuse, tout de suite. Un « garçon » aussi fragile peut convenir à une femme à l’instinct maternel débordant, pas à moi. En troisième lieu, il y a les pseudos-intellos egocentriques qui n’admirent en moi que leur alter ego. Une vraie plaie ceux-là avec leur pédantisme et leur manière à vous dire qu’ils savent forcement tout mieux que vous. Finalement, il y a les mariés, ceux là c’est les pires. Parce que généralement ce sont de vieilles connaissances qui avaient toujours été très courtois et distants mais une fois qu’ils se sont liés à une autre. Ils reviennent en devenant dragueurs et salaces, Dès que je leur rappelle leur nouveau statut social, ils disent que ce n’est pas grave, qu’ils s’amusent gentiment et pourtant ils voient bien que je ne ris pas aux éclats. Coach, aurais-je le profil idéal d’une maitresse sans le savoir ?
  • Non rassurez vous. Même si c’est le cas, ça ne saute pas aux yeux. Mais je veux savoir, vous-même, vous ne tentez jamais d’approches, vous n’essayez pas de séduire, charmer ou du moins attirer l’attention de ces messieurs ?
  • Si, bien sur. J’ai une technique infaillible, c’est celle de la sotte qui ne comprend rien, qui est fragile et que tout fascine. Les hommes se sentent, du coup, protecteurs, responsables de moi. Ils essayent de jouer leur rôle de male dominant. Le problème c’est qu’avec le temps, le jeu m’ennuie alors mon vrai visage apparaît et la supercherie cesse. Sinon, quand j’essaye d’être moi-même généralement ça n’accroche personne : mes traits d’humours et mon esprit critique me rattrapent. Il y a certains hommes à qui ma vraie personnalité plait et nous devenons…… les-meilleurs-amis-du-monde : déprimant, n’est ce pas ?
  • Bon mademoiselle, je cerne bien votre problème. Vous êtes de ces femmes coffres-forts.
  • Des femmes quoi ?
  • Bon, c’est une théorie qui suppose que les femmes sont comme des portes. Il y a des portes lourdes de bois dur dont les serrures sont très solides, il y a des portes blindées avec des serrures bien sécurisées en acier, il y a aussi les portes des vieilles armoires que n’importe quel clé ouvre ou même tout autre ustensile qui ait la même forme. Il y a toute sorte de porte. Vous vous êtes une porte de coffre-fort dont de rares hommes détiennent le code d’accès.
  • Waw je serais une porte de coffre-fort, c’est cool….mais ça ne résout pas mon problème.
  • Mademoiselle, sachez que vous n’avez aucun problème. Mes conseils vous auriez pu les deviner seule : Laissez-vous vivre, sortez, rencontrez des gens. Vous êtes jolie, mettez vous plus en valeur (Les hommes sont d’abord séduits par ce qu’ils voient) et vous verrez que vous ferez de belles rencontres. …mais surtout surtout cessez de chercher.