Par Ines Ayed
Il y a un peu plus d’une semaine j’étais venue à ce rendez-vous matinal lancé par la fondation allemande Heinrich-Böll-Stiftung pour parler de la stratégie nationale de l’hydrogène vert à la cité des sciences.
J’avoue que j’étais étonnée en découvrant ce sujet. L’hydrogène vert en Tunisie est aussi présent pour moi que le ski alpin en plein désert. Déjà qu’on peine à concrétiser des projets d’énergie accessible comme le solaire….
Bref, mue par une grande curiosité et beaucoup d’optimisme face à une conjoncture énergétique et économique de plus en plus compliquée, j’y suis allée.
Qu’est-ce que l’hydrogène vert et comment il est produit?
Dans une lutte perpétuelle contre le réchauffement climatique et dans une quête continue pour identifier la ressource énergétique la moins polluante et la moins onéreuse, l’hydrogène vert, semble être l’une des meilleures alternatives qui pourrait remplir ces deux objectifs. Mais sa production n’est pas aussi évidente car elle demande un lourd investissement et comporte des risques certains. Il faut rappeler tout d’abord que l’hydrogène ne se trouve naturellement que lié à d’autre éléments comme le carbone pour former un hydrocarbure ou l’oxygène pour former l’eau. Pour obtenir ce gaz de manière écologique nous devons faire l’électrolyse d’eau pure, c’est à dire dessalée et déminéralisée.
Par la suite, pour se procurer de l’eau pure on doit avoir recours à une station qui pompe l’eau de mer et la dessale. Une telle structure étant gourmande en énergie, il faut installer à côté une source d’énergie. Mais comme on cible de l’hydrogène vert il faut que l’énergie utilisée soit renouvelable donc provenir des éoliennes et des parcs de photovoltaïques( seuls ces deux exemples d’énergies renouvelables nous concernent en Tunisie).
On pourrait demander pourquoi ne pas faire le raccourci d’utiliser directement l’électricité produite par le soleil et le vent ? C’est parce que ce sont deux sources intermittentes et inconstantes. On ne détient pas encore le moyen efficace de stocker l’électricité, voilà pourquoi on a recours à l’hydrogène, dont le stockage et le transfert sont faciles. Il est ainsi considéré comme un vecteur d’énergie.
L’hydrogène est utilisée pour la pile à combustible ou le moteur à hydrogène similaire pour son fonctionnement a la pile. Lors de son utilisation, l’hydrogène est brûlé et sa combustion produit du H2O, de l’eau tout simplement. On oublie ainsi les rejets polluants de carbone dans l’air.
Un accord pour développer l’hydrogène vert déjà signé par la Tunisie
Je m’attendais à une séance de sensibilisation à l’importance de l’hydrogène pour l’envisager comme une solution de rechange afin de commencer une transition énergétique qui n’a que trop tardé à voire le jour. Mais je fus surprise qu’on m’annonce qu’un protocole a déjà été signé entre la Tunisie et l’Allemagne pour développer un grand projet de H2 vert en Tunisie et ce depuis 2020. Une enveloppe de 30 millions d’euros est même allouée par l’Allemagne.
Mais quand on apprend plus récemment que le FMI recommande fortement à la Tunisie d’exporter l’énergie verte et que d’un autre coté, l’UE prévoit , dans le cadre de sa stratégie énergétique, d’ exporter de l’hydrogène vert de l’Afrique du nord, le tableau apparaît dans sa totalité, très cohérent.
La journaliste et chercheure Aïda Delpuech, qui faisait partie du panel de la journée, a mené une investigation de plusieurs mois pour comprendre les termes et conditions de cet accord tuniso-allemand et pour rédiger un rapport sur la stratégie suivie. D’abord, elle a dévoilé qu’elle a plus compté sur l’aide allemande et notamment celle de la GIZ pour avoir accès a tous les documents.
Elle a expliqué ensuite que si ce programme était une grande opportunité pour la Tunisie, il ne venait pas sans grandes questions sur son impact et sur les risques qu’il comporte. Car oui des risques subsistent face à une telle opportunité qui semble au premier abord parfaite.
Des risques existent oui mais…
L’État tunisien n’a pas jugé utile d’informer les Tunisiens de cet accord et même les rares personnes qui en ont appris l’existence n’étaient pas autorisées à en découvrir le texte déjà ratifié par les deux parties. On prétend qu’un accord qui engage le capital environnemental, énergétique et économique du pays pour les générations futures n’intéresse personne, que la stratégie n’est pas encore mise au point et que le déploiement se trouve encore au stade embryonnaire. Mais la Tunisie a déjà signé, alors qu’a-t-elle signé ?
En l’absence du représentant de notre ministère de l’industrie et de l’énergie, c’est la représentante de la GIZ au panel et donc de la partie allemande, Tanja Faller, qui a repris la parole pour défendre le projet. Elle a commencé par déclarer « Des risques existent oui, mais il y a un risque plus important celui de ne rien faire ».
Elle a dans ce sens rappelé que la Tunisie, malgré des engagement faits dans le protocole de Kyoto, peine à dépasser les 4 % d’électricité provenant des énergies renouvelables. Faller a même évoqué que la GIZ n’arrivait pas coordonner avec l’État tunisien pour accorder aux ménages tunisiens des bourses qui leur sont allouées et qui leur permettraient d’installer des panneaux solaires chez eux.
Reparlant de ce projet, elle nous a appris que que le projet est presque complètement destiné à l’export vers l’Allemagne et l’Europe et qu’il se situera probablement au sud de la Tunisie.
La seule inquiétude qu’elle a posé concernait le rejet des saumures dans la mer méditerranée, vu que c’est un bassin qui réunit autours de ses rives pays nord-africains et européens.
Le diable se cache dans les détails
Zied Boussen, activiste et chercheur à Arab Reform Initiative, a pris ensuite la parole pour dénoncer que l’état tunisien a failli dans ce dossier à son rôle pour préserver nos intérêts et a manqué de transparence pour nous informer des détails.
Aida a repris la parole en relevant certains points problématiques tels que le problème du terrain qui va accueillir ces mégas projets et le consentement des habitants qui seront les voisins d’une telle construction. Elle a cité l’exemple des terres expropriées pour le projet des éoliennes à Haouaria et dont la confrontation entre les habitants et l’État ne trouve encore aucun apaisement.
Ensuite c’est un autre problème qu’elle a évoqué, celui de consacrer les stations de dessalement de l’eau à produire l’hydrogène alors que nous avons des besoins prioritaires en eau potable, surtout que nous sommes un pays en situation de stress hydrique.
Les critiques faites à l’encontre de la stratégie n’ont pas pour but de l’arrêter forcément mais au moins de lui préparer une assise forte et une coopération gagnant-gagnant entre la Tunisie et l’Allemagne. Pour cela, il faut mener des études de faisabilité rigoureuses, informer les Tunisiens (notamment les habitants locaux des sites choisis pour l’implantation) , consulter la société civile et engager avec toutes les parties prenantes un dialogue ouvert et inclusif. Ainsi nous pouvons garantir avec le profit économique, la préservation de notre environnement et le commencement d’une transition énergétique réussie.