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La vie rêvée de Salma

Par Ines Ayed

Salma était assise au milieu de son salon plein à craquer. Elle entendait ses invités parler, se remémorer des souvenir. Certains poussaient des soupirs pleins de tristesse en citant le prénom de son défunt mari et en rappelant ses qualités. Elle les regardait hagarde, une migraine lui vissait les tempes et l’empêchait de comprendre ce que son amie à côté lui disait avec des sanglots qui la secouaient à chaque phrase. Salma tira une énième fois sur sa jupe noire et passa ses doigts sur ses cheveux gras réunis étroitement en une queue de cheval stricte. Elle voulait juste dormir, elle était capable de dormir plusieurs jours de suite tellement elle se sentait fatiguée. Mais il y avait tout ce monde, devant qui, elle devait assurer son rôle de veuve éplorée mais fière alors elle se ressaisit pour ramener à elle ses moyens, lever la tête et se concentrer sur les paroles de son amie:

« …Vous incarniez le couple parfait..hi !hi !.. Vous étiez tellement proches!..hi !hi !..Je sais que Hamadi va te manquer, il faut te montrer patiente ma chère !…. »

Mais Salma se sentit étouffée tout d’un coup, elle s’excusa auprès de son amie, se leva, alla prendre son fils des bras de sa grand-mère inconsolable et partit s’enfermer dans sa chambre.

les obsèques et les deux jours suivants passèrent sans qu’elle ne se rende compte. Il y avait ses proches pour l’épauler et compatir avec sa douleur. Ils s’activaient dans sa maison, rangeaient ses affaires et utilisaient sa cuisine. Quand finalement ils durent avec regret partir elle les remercia chaleureusement.

C’est en se retrouvant seule avec son petit garçon qu’elle put enfin se reposer et repenser calmement aux récents événements. cela faisait neuf jours et quelques heures que son mari était mort. La veille du jour fatidique, elle avait appelé le SAMU pour qu’on vienne secourir son mari ressentant tout d’un coup des douleurs intenses au ventre. Tout se déroula ensuite précipitamment et dans une confusion incroyable. La mort fut annoncée le lendemain matin à l’hôpital de cause naturelle.

Le premier choc passé, vint ensuite la douleur et la tristesse. Maintenant, elle ressentait l’urgence de se retrouver seule dans le calme de ses pensées, de réapprendre à vivre par elle-même. Elle qui avait toujours dépendu pleinement des autres, était désormais seule responsable de sa vie.

Hamadi n’était plus là! elle en éprouvait un soulagement. Son mari intelligent, imposant, charismatique et charmeur n’était plus là pour lui dicter ses choix. La perspective de vivre par elle-même, de disposer de son temps lui souriait déjà. Elle deviendra plus autonome plus libre, Hamadi n’était plus là pour l’écraser sous son autorité, pour lui lancer ses fameux « ma petite chérie » ou à d’autres « c’est ma petite femme ». Finie cette impression de petitesse et de soumission, finies aussi les remarques désobligeantes qu’il lui lançait devant tout le monde comme pour mieux montrer sa supériorité. Finies son indifférence à ses démarches pour se rapprocher à nouveau et ses gifles sifflantes quand elle hurlait sa colère.

Elle prit un morceau de papier et écrivit tout ce dont elle avait envie et qu’il lui interdisait:

des robes courtes à petites fleurs, une nouvelle coupe de cheveux carrée, de nouveaux coussins aux couleurs chatoyantes pour le salon, ….

Elle sourit même à l’idée d’avoir son enfant pour elle seule, alors qu’il considérait son père comme un héros, qu’il l’admirait plus que tout et qu’il reprochait à Salma de ne pas être aussi « chouette » que lui. Dès qu’elle finira les démarches administratives pour continuer à percevoir le salaire de Hamadi, elle partira en voyage avec son petit garçon pour retrouver un peu de complicité avec lui. Elle essaiera juste par décence de ne pas trop montrer la satisfaction de cette nouvelle vie, elle ne voudra surtout pas éveiller la suspicion de son entourage. Elle se rappelle encore comme elle avait eu chaud quelques jours après l’enterrement, quand sa belle-mère remarqua l’absence de l’un des six verres soufflés qu’elle lui avait offert à son mariage et comme elle avait eu peur qu’elle ne découvre qu’elle l’avait pilé pour en mettre les débris dans le dîner de son mari. Une peur qui se dissipa quand sa belle mère reprit en souriant tristement : » Que signifie la perte d’un verre quand on a perdu notre cher Hamadi » .

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