Par Ines Ayed
Deux ans que Safa n’a assisté à aucun mariage ni de proches ni d’amis. Elle ne se rappelait pas pourquoi elle a accepté l’invitation cette fois. Peut-être parce que celui-là était un peu hors saison…..non mais quelle idée de venir!
Elle passa ses doigts dans sa frange nouvellement coupée pour lui donner du volume et essaya de résister à l’envie de toucher le reste de ses cheveux. Qu’est ce qui l’a pris de dire oui au brushing. Ne pouvait-elle pas expliquer à l’esthéticienne bavarde qui lui embuait les yeux avec la fumée de sa cigarette que toutes ses expériences précédentes en matière de coiffage ont été un véritable fiasco ?
Elle regarda autour d’elle. Comment font les autres femmes pour être aussi impeccables. Leurs cheveux, leur maquillage, leurs ongles, leurs robes…..toute partie de leur corps semble avoir requis la même attention minutieuse et patiente.
Combien leur faut-il pour souligner le regard, rehausser le teint et magnifier le sourire ? Elle voyait des décolletés s’épanouir, des fentes s’échancrer et les yeux des hommes en face pétiller de plaisir. Les invitées allaient et venaient claquant leurs talents hauts et balançant leurs hanches rondes et moulées.
Une connaissance vint lui faire la bise :
- Ah ! C’est pas vrai ! Safa c’est toi ! T’es vraiment en beauté ça te change.
- Merci oui j’ai pensé faire un effort.
Elle fila saluer et embrasser d’autres amies. Les membres de la troupe musicale se résolurent enfin à interrompre l’interminable chanson de Tarab qu’ils massacraient depuis un quart d’heure et optèrent pour des chansons au rythme résolument plus entrainant. L’assistance ne se fit pas prier et la piste se remplit de déhanchements, de balancements, de tremblements et même de petits sautillements pour les moins doués.
En regardant les différentes prestations elle essaya de se rappeler où elle avait lu que l’on dansait comme on faisait l’amour. Elle détailla les couples qui se faisaient face et essaya d’analyser leurs « parades nuptiales ». Un couple assez jeune attira son attention : ils étaient beaux tous les deux. Lui était grand et élégant, elle était fine et sexy. Mais leurs cadences différaient, il était rigide et bougeait très peu, elle montrait plutôt une souplesse et une mouvance très attrayantes. La fille essaya de faire des pas vers la droite et vers la gauche mais son partenaire ne suivait pas. Ils ne montraient aucune complicité. Leurs rapports intimes ne devraient pas être très brillants.
Son analyse fut interrompue par la venue d’une grosse dame qui s’assit à sa table, juste à côté d’elle. Elle devait avoir la cinquantaine, portait une robe trop moulante et les cheveux coupés très courts. Elle ouvrit sa pochette pour sortir son paquet de cigarettes et avec un sourire radieux en offrit à Safa, qui déclina poliment. La dame alluma sa clope et renversa sa tête en arrière en soufflant avec une élégance digne des actrices des années soixante, malgré le double menton, les dents jaunies et les cheveux au blond criard.
Safa regarda cette dame solitaire en essayant de deviner son histoire. Elle est peut-être divorcée ou veuve, en tout cas elle ne doit pas avoir d’enfants. Elle doit avoir un appartement chic à la banlieue et une boutique de prêt-à-porter. Non elle est plutôt retraitée de la banque.
Safa l’observa qui mordait dans une baklawa à pleines dents. A quoi ressemble la vie sentimentale d’une femme comme elle ? Des proches doivent la blâmer parce qu’elle ne se voile pas encore les cheveux, à son âge. Elle doit vouloir profiter de ses dernières années, se presser pour vivre une dernière romance, sentir encore battre son cœur. Elle la voit passer des soirées solitaires et désespérées sur des sites de rencontres à chercher un partenaire plus au moins convenable qui lui tiendrait compagnie et réchaufferait ses nuits d’hiver.
Dans quelques années, quand elle aura complètement désespérée de refaire sa vie avec un homme. Elle fera venir chez elle l’une de ses nièces pour ne pas rester seule dans ses vieux jours. Elle la gâtera et lui léguera plus tard tous ses biens. A sa mort on dira qu’elle a été une bonne personne mais qu’elle a manqué de chance. On ajoutera même qu’elle partait assister seule aux cérémonies de mariages pour tromper sa tristesse…..
-M’ma pourquoi tu réponds pas à ton téléphone ?
Le garçon dodu qui se tenait debout devant sa voisine de table, boudait comme un enfant gâté.
-Papa t’appelle depuis tout à l’heure pour te dire qu’il est temps de partir.
-Ah oui ? D’accord oui, je suis prête.
La dame éteignit sa cigarette, se leva avec une légèreté surprenante puis se tourna vers Safa :
-Bonne nuit petite, je te souhaite un aussi beau mariage.